La Bataille de Mazangé

Jeudi 11 septembre 2008, par Fil — Historique 2 commentaires

Le 6 janvier 1871, la guerre contre les Prussiens se déroule aux alentours de Vendôme, avant de partir vers Le Mans. Dans La Deuxième Armée de La Loire, 1870—1871, le général Chanzy raconte ses mémoires :

OPÉRATIONS DU GÉNÉRAL DE JOUFFROY DU 1er AU 7 JANVIER.

Il faut maintenant revenir aux opérations de la colonne de Jouffroy [1]. On a vu qu’en quittant les environs de Vendôme, dans la nuit du 31 décembre au 1er janvier, le général avait repris les positions qu’il occupait le 25. Pour assurer sa retraite, qu’il tenait à faire lentement s’il devait la continuer, il avait laissé à Espéreuse la colonne Marty, et à Azay celles des colonels Falcon et Thierry. Dans la soirée du 1er janvier, ces trois colonnes se replièrent sur Savigny et sur Fortan, qu’occupait déjà le colonel Bayle. Toutes les troupes étaient alors réparties depuis Épuisay jusqu’aux Roches, où se trouvaient le 45e de marche et une batterie : la cavalerie à Savigny (cuirassiers du colonel Tréboute), à Montoire (éclaireurs algériens du colonel Goursaud) et à Troo (3e régiment, cavalerie mixte).

Le 2 janvier, des reconnaissances offensives sont poussées dans la direction de Fréteval jusqu’à Busseloup), sur Courtiras et sur Varennes en passant par Thoré. L’ennemi, rencontré partout, cède le terrain, et on occupe Villiers.

Le 3, nouvelles reconnaissances qui ne trouvent que peu de résistance ; on peut explorer la rive gauche du Loir, que l’infanterie traverse sur la glace.

Le 4, une forte reconnaissance, qui a pu s’avancer jusqu’à Montrieux d’où elle chasse l’ennemi, rapporte la nouvelle que celui ci se concentre en force à Vendôme.

Le 5, le général de Jouffroy acquiert la conviction que les Allemands, en nombre entre Vendôme et Saint-Amand, cherchent à se porter sur le général de Curten. Il juge une diversion indispensable, et se décide à marcher de nouveau sur Vendôme. De petites colonnes, partant le soir de tous les cantonnements, forcent, à dix heures, les postes ennemis à quitter la forêt de Vendôme, et nos éclaireurs et francs-tireurs s’avancent dans la nuit jusqu’à Pezou, la Tousselinière et Bel-Air.

Le 6 janvier, dès sept heures du matin, les troupes de Savigny s’étaient reportées sur Fortan , celles de Fortan sur Lunay. A huit heures, on prend partout l’offensive, et jusqu’à onze heures on gagne du terrain sans trop de résistance, croyant n’avoir affaire qu’à des reconnaissances ennemies. Il n’en était pas ainsi : les Allemands, inquiets de ces mouvements, avaient mis la matinée à ramener de ce côté des forces considérables appuyées par une formidable artillerie. Bientôt, sur toute la ligne, le combat s’engage avec acharnement de part et d’autre ; il est surtout sérieux au Gué du Loir et aux Roches. A deux heures, toutes nos troupes étaient engagées, et, malgré les efforts héroïques, elles perdaient du terrain.

COMBAT DE MAZANGÉ.

Tandis qu’il menaçait, au moyen de fortes démonstrations, notre gauche à Azay [2] et à Espéreuse par les routes de Vendôme et Azay et à Épuisay, l’ennemi débouchait sur deux colonnes par la grande route de Vendôme au Mans et par le chemin de Montrieux à Villiers. Il occupait fortement le plateau quadrangulaire compris entre le coude du Loir et le ruisseau d’Azay, et une de ses colonnes, partie de Vendôme et suivant la rive Gauche, marchait par les Roches sur Montoire, qu’une autre colonne menaçait directement par la route d’Ambloy, Sassenières et Lavardin. La préoccupation d’une opération décisive sur Vendôme, au lieu de rester complétement dans sa mission, qui était d’inquiéter l’ennemi sur les deux rives du Loir en gardant fortement tous les passages et en se reliant d’une façon continue au général de Curten, avait fait négliger au général de Jouffroy la protection si nécessaire de ces deux dernières routes. C’est par là que l’effort principal devait avoir lieu.

L’ennemi, maître des positions de Briard et du Plessis, marche sur le gué du Loir, en avant duquel le général Jouffroy peut faire disposer deux batteries sur la crête qui domine à l’est et à l’ouest le ruisseau de Mazangé. Accueilli par le feu de ces batteries, il est bientôt obligé de renoncer à son attaque et de se replier successivement jusqu’à hauteur du château de Courtazé. Vers deux heures, de nouveaux efforts faits par l’infanterie prussienne, débouchant de Varennes et de Montrieux dans la plaine de Villiers, se heurtent encore au feu violent de la 20e batterie du 80 d’artillerie et d’une section de la 20e du 12e qui les oblige à se retirer. Ce n’est que vers quatre heures que l’ennemi parvient, avec de nouveaux renforts, à réoccuper le plateau de Villiers, Briard et le Plessis.

COMBAT DES ROCHES.

Pendant ce temps, les Roches étaient vivement menacées, malgré l’attitude du 45e de marche et des chasseurs à pied. La 21e batterie du 19e régiment d’artillerie y tint tête, pendant trois heures, au feu de trois batteries prussiennes, qui n’osèrent s’avancer en deçà de deux mille deux cents mètres.

Toutes nos troupes se trouvaient ainsi engagées depuis le matin ; leurs fatigues étaient extrêmes ; l’ennemi devenait à chaque instant plus nombreux ; il fallut ordonner la retraite sur les points que le général avait indiqués à l’avance le long de la Braye. La poursuite de l’ennemi ne s’arrêta qu’à la nuit.

Le 7 janvier, la matinée fut employée à régulariser la position des diverses colonnes arrivées fort tard au bivouac et à renforcer les grand’gardes et les avant-postes. L’ennemi se présenta vers midi, et le combat reprit sur toute la ligne jusqu’à trois heures. A ce moment, le général de Jouffroy apprit que le colonel Thierry, qui formait sa gauche, n’avait pu tenir au Poirier et se repliait sur Saint-Calais ; il continua dès lors son mouvement général de retraite. Les éclaireurs algériens le couvraient sur la droite, résistant avec la plus grande vigueur aux attaques de l’ennemi. A neuf heures du soir, toutes les troupes étaient derrière la Braye, et les convois, intacts, à Cogniers, engagés sur les chemins qui mènent à Saint-Jean de la Couée.

Cette direction générale donnée à la retraite avait l’inconvénient d’abandonner les artères principales aboutissant au Mans et de les laisser toutes ouvertes à l’ennemi ; elle eut de plus comme conséquence de jeter les colonnes sur des chemins difficiles, de les obliger à de longs détours et de les faire aboutir au Mans en dernier lieu, en retard et épuisées de fatigue [3].

Quoi qu’il en soit, ces opérations avaient été vigoureusement conduites et exécutées par tous avec une grande énergie.

* * *

Une autre Histoire de la guerre de 1870, écrite par Paul et Victor Margueritte (texte intégral, décrit cette période comme la pire semaine de la guerre, à cause de la neige et du verglas :

Le 29, Curten est entré à Château-Renault ; le 31,
Jouffroy a attaqué vigoureusement Vendôme, mais victorieux
aux abords même et à Bel-Air, il échoue à Danzé,
sur son flanc gauche, et sans insister, recule. Le 5 janvier,
Curten se bat à Villeporcher. Mais, dès lors, le
moment propice est passé.

Frédéric-Charles, qui le 2 janvier a donné d’Orléans ses
ordres de concentration, apprend, le 5, qu’il n’a plus rien
à redouter de Bourbaki. Déjà ses avant-gardes atteignent
le Loir ; le 111" corps (Manstein) doit entrer le 6 à
Vendôme ; le IX" (Alvensleben) avec la 21e division de cavalerie
à Morée ; le X" (Voigts-Rhetz) aile gauche, avec la f^ et la
6’’ division de cavalerie, gagnera Montoire ; à l’aile droite,
vers Nogent-le-Rotrou, est un corps nouveau formé
avec les restes de l’armée Abthei/iing, le XI 11’^ (17’^ et
’22’’ divisions d’infanterie) aux ordres du grand-duc de
Mecklembourg, avec la 4’= division de cavalerie.

Masse de 60 000 fantassins, 15 500 cavaliers, et
320 canons, presque aussi épuisée que nous, et qui,
sept jours de suite, en cette dure semaine de janvier, de
son propre aveu la plus pénible de toute la campagne,
avance et combat, refoulant, dans sa marche concentrique,
nos colonnes éparses, jusqu’à cette journée du 12, où pour
la dernière fois s’effondre, sous le choc repété, l’immense
et précaire faisceau humain, si longtemps renoué, soutenu
par la seule volonté de Chanzy.

Le 6 janvier, c’est le combat d’Azay, qui rejette Jouffroy
en arrière ; de la Fourche, où Rousseau plie devant le
grand-duc de Mecklembourg ; de Saint-Amand, où Curten
arrête un moment le X" corps, dont l’entrée en ligne
souffrira dès lors quelque retard.

Le 7 janvier, Jouffroy est battu à Épuisay, Rousseau à
Nogent-le-Rotrou , Curten à Villechauve. En vain Chanzy
envoie-t-il en hâte à Château-du-Loir l’amiral Jauréguiberry,
pour prendre la direction supérieure des colonnes
mobiles, coordonner leurs mouvements ; il est bien tard.
Dans un perpétuel coup de feu, par les froides journées de
brouillard, par les tourbillons de neige, les Allemands
sinuent sur le verglas des routes, à travers un pays coupé,
mouvementé, hérissé de chemins creux, de clôtures. Le 8,
ce sont les combats de Vancé, de la Chartre, de Bellème ;
le 9, les combats de Château-Renault, d’Ardenay, de
Chahaigne, de Brives, de Connerré, de Thorigné. De
toutes parts on se replie sur le Mans, sauf la colonne de
Curten qui, coupée, est rejelée vers La Flèche. Un vent
d’ouest fait rage, les fossés sont jonchés d’armes et de
voitures, les routes couvertes à nouveau de fuyards. On
y glisse comme sur un miroir ; il faut marcher à la tête
des chevaux, les pousser à coups de plat de sabre.

[1Voir la note 11

[3Voir la note 12


Vos commentaires :

  1. Le 11 septembre 2008 à 15:44, par Philippe Arnaud

    La bataille de Vendôme, le 14 décembre 1870, occupe 20 pages du tome 4 de l’histoire de la guerre de 1870 (pages 284 à 304) du lieutenant-colonel Léonce Rousset, publiée au début du XXe siècle chez Montgrédien. Ce n’est peut-être pas la meilleure histoire, car trop militaire et nationaliste, mais c’est celle qui, en français, contient le plus de détails - et qui est la plus accessible au grand public, en dehors, évidemment, des publications d’état-major. Sinon, si tu pratiques l’allemand, va voir chez Theodor Fontane : Der Krieg gegen Frankreich (4 tomes de 2688 pages, chez Manesse).

  2. Le 29 juillet 2009 à 08:56, par Fil

    Merci Philippe ; j’ai retrouvé ce livre sur Gallica, en voici un extrait.

Laissez-nous un message